Textes -"Le Vallon du Fou"

4- " Cuneus versus Vis viva " - (Suite)

Troisième partie : " Cuneus "

- Faustus…j’ai quelque chose de particulier à te donner…
Je sais que le moment n’est pas le plus approprié et que tu préfères attendre la confirmation du « Cuneus » en restant avec tes Hastati.
Je n’en aurai que pour quelques minutes.
Peut-on rejoindre ta tente et appeler tes deux Optione ?
Je souhaite qu’ils soient présents.
C’est la tradition pour ce que j’ai à te remettre.

Faustus fait signe à ses deux seconds, restés à courte distance de l’entretien pour respecter la confidentialité des échanges entre ceux qui vont décider de la stratégie de la bataille, sur l’accord préalable du Légat, ou du Tribun.
Ils ont compris qu’il s'agit d'une nouvelle importante pour Faustus, l’officier le plus expérimenté de la première cohorte de cinq centuries comprenant chacune cent soixante légionnaires (5 x 160 = 800 hommes de troupe)
Ce détachement de la Legio IX comporte trois autres cohortes un peu plus modestes, chacune de six centuries de quatre-vingt légionnaires (3 x [6 x 80] = 1440 hommes de troupe).
Deux sont positionnées sur les ailes et une en réserve.
Outre soixante cavaliers éclaireurs, une centaine de servants des machines de jet (onagres) et d’archers, auxquels s'ajoute une centaine de soldats auxiliaires qui complètent le dispositif.
Ces deux mille cinq cent hommes composent le détachement offensif de la Legio IX Hispana, son fer de lance.

L’autre moitié de la Legio IX a été affectée à la protection de Londinium (Londres).
Les généraux ont fait observer que cette division des forces risquait de faciliter les incursions violentes des Celtes, qui connaissent parfaitement le terrain, les forêts et les points d’eau qu’ils empoisonnent.
L’état-major de la Legio IX est à deux jours complets de marche, où le Légat (6), le Tribun (7) et le Préfet (8) du camp sont restés installés.

Tous entrent ensemble dans la tente. Les quelques légionnaires affectés aux tâches de service s’effacent aussitôt.
L’ordonnance gonfle le torse, inspire profondément en serrant son casque, plaqué contre l’armure ouvragée d’apparat.
Il se l'est offerte à Rome lors de la nomination de son frère, désormais général de la légendaire Legio III « Gallica », levée par Jules César lui-même.
Négligemment il lisse les revers brodés de sa cape « tenebris purpura » (pourpre profond –aussi traduit "Deep Purple", avec des jeans "pattes d’éléphant" et des guitares) et ajuste son Baleus (ceinture).
Il vérifie que son Gladius soit bien fixé dans son fourreau.
Profitant de la présence opportune d’une glace sur la haute commode où sont rangées les tenues du Centurion et ses deux Optio, il vérifie l’élégance de son port hautain en élevant imperceptiblement le menton.

Narcisse à la guerre.
Quelle que soit la situation, glorieuse ou désespérée, il faut maintenir son rang et ne le céder à personne.
Il dénoue le lacet de cuir de la sacoche fourreau cousue sur sa ceinture.
Et en extirpe avec délicatesse un papyrus roulé, réservé aux actes importants (9).

Il tend délicatement le document précieux à Faustus, un léger sourire à la commissure des lèvres.
Le Centurion n’a pas idée de son contenu, il se doute qu’il s’agit d’une information essentielle, nécessitant cette confidentialité et la sécurité probatoire de deux témoins d’honneur.
Au dernier instant, alors que Faustus a déjà saisi le papyrus, l’ordonnance la retient mollement.

-Faustus, au nom du Légat de la Legio IX Hispana, avec le soutien unanime du Tribun, du Préfet et des généraux réunis, je suis très honoré d’être porteur de cette missive.

Le centurion lève les yeux et le fixe…il fallait absolument que ce prétencieux ait le dernier mot, même après la signature des hauts responsables de la Légion.
Ses mâchoires nerveusement soudées jusque-là se relâchent…

Il est songeur.
Que signifie ce sourire mièvre en cet instant si grave, alors que les soldats attendent sa présence ; sans lui ils ne combattront pas.
Quel est la teneur de ce message qui excite tant l’égocentrisme teinté de sadisme du messager lorsqu’il transmet des nouvelles décisives, observant avec attention le bien ou le mal qu’elles distribuent ?

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(6) : Nommé pour deux ou trois ans. Il commande la légion en veillant à la bonne marche des unités, en faisant respecter la discipline, pratiquer l’exercice, en assurant des pouvoirs financiers et judiciaires.
(7) : Deuxième personnage de la légion aide le légat dans ses fonctions judiciaires et dans la gestion de l’exercice. Il peut aussi le remplacer.
(8) : Souvent un ancien centurion « primipile », troisième personnage de la légion par ordre d’importance. Il supervise l’entretien du rempart, surveille les bagages pendant la marche et commande l’artillerie.
(9) : L'écriture cursive est employée dans la vie quotidienne pour écrire les lettres, les actes commerciaux et administratifs, les textes de lois à envoyer dans les provinces de l'empire, ainsi que par les écoliers et les étudiants pour prendre des notes et faire les exercices demandés par leur maître. Les supports sont variés : le papyrus, la tablette de cire, le bois ou l'argile. Pour écrire, on utilise le stylet, la plume pointue, le pinceau.

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