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Textes -"Le Vallon du Fou"
3- Les griffes de la lionne
L'aube laiteuse s'insinue dans les feuillages paralysés par le froid, jusqu'à ce que l'aurore lui succède et parvienne à percer ce bouclier végétal.
Quelques traits incandescents jaillissent de la cime des frênes et illuminent les fougères cristallisées.
Elle a retiré l'un de ses gants de cuir épais.
Mettant un genou à terre pour effleurer les brins d’herbes luisants du bout des doigts.
Sa main glisse lentement.
Une cicatrice pointe sur son poignet, remontant vers l’avant-bras.
Que veut-elle faire, quel est son plan ?
Le visage grave, son regard s'élève vers les arbres en amont qui ceinturent la clairière.
Une légère pente ascendante jusqu'à la "forêt des Fées", là où elle se cachait avec son frère dans d'improbables cabanes de branches nouées avec des tronçons de lierre.
C'est ici que se dissimule aussi la IX ème Légion romaine "Hispana".
Dix pas derrière cette guerrière rebelle, Cyndeyrn (*) l'observe, fasciné.
Il a combattu tant de fois, souffert de blessures qui brûlent la peau, donné de toutes ses forces des coups qui dispensent la mort au bout de son épée durcie dans les forges du peuple des Iceni.
Ces bruits tourmentent son esprit, qui entend encore les cris lorsque le soleil dort.
Il ne sait pas lui dire.
C'est un guerrier, un chef de clan. Tous le regardent aussi.
Guettant le moment où il donnera le signe.
L'ordre.
Lorsque le roi Prasutagos est mort, soumis aux romains, il laissa la moitié de ses richesses et de son territoire à ses filles et l'autre moitié à l'empereur Néron.
Irrités par ce partage dicté à la Rome conquérante par un « barbare », les administrateurs romains saisirent tous ses biens sans exception.
Ils ordonnèrent de battre sans retenue la reine veuve Boadicée et lui firent donner le fouet publiquement.
Pour que la leçon de la suprématie des nouveaux maîtres soit bien retenue, ils firent violer ses filles.
Afin de les déshonorer et de souiller leur descendance.
Elle a souffert sans montrer sa douleur, son corps en porte encore les stigmates.
Qu’on la plaigne ne l’intéresse pas.
Elle a réuni cent vingt mille guerriers, dont de nombreuses femmes, pour que sa vengeance ne soit pas aveugle, pour qu’elle ouvre les yeux de tous les clans sur la valeur suprême de l’âme celte.
Être libres, tous ou aucun.
Cyndeyrn a vu dans le cirque ovale des romains cet animal féroce, qui fait vibrer les âmes et trembler les corps enchaînés lorsqu'il rugit.
Un spectacle pour ceux qui se délectent du supplice insoutenable des autres.
Cette puissance indomptable l'a ébranlé.
Comment vaincre cette force, comment ne pas baisser les yeux devant cet être au regard clair foudroyant.
Sa crinière rousse jusqu'aux hanches s'agite avec grâce quand ce fauve s'élance pour asséner un adieu déchirant de ses griffes acérées.
Il l'admire.
La reine de tout un peuple, sa reine.
« Anwen », ce prénom qui signifie « si belle » dans la langue des celtes.
Doit-il le lui dire alors que la rage des combats prend place lentement dans cette longue clairière baignée des lueurs de l'espoir ?
Elle se redresse, se tourne et regarde fixement les clans, ces grappes humaines déjà harnachées, ces milliers de visages dont les souffles sont suspendus au moindre de ses gestes.
Elle s'approche de lui.
Cyndeyrn a les yeux écarquillés, tous ses sens sont en éveil, sa reine a quelque chose à lui dire.
A lui et à aucun des autres chefs de clan qui l'entoure.
Fier comme une flèche qui perce le cœur de la cible, il se tient si droit qu'il ressemble au tronc du sycomore contre lequel son bouclier bleu sombre est posé.
Elle se porte au niveau de son visage et lui dit à l’oreille :
« Cyndeyrn...
Prend les tapis de nos tentes et fait découper des lanières des peaux de la longueur d'un bras, larges comme un pied.
Il m'en faut 200...
Trouve toutes les cordes fines que tu peux.
S'il le faut, prend aussi celles de nos tentes.
Demande à tes guerriers et à ceux de Glyndwr (**) de t'aider.
Il faut faire vite. »
Que veut-elle faire, quel est son plan ?
(*) [pron. phon. " Cundeïrn "]
(**) [pron. phon. " Glendour "]
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Supports documentaires (extraits)
" Le Vallon du Fou "
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4- " Cuneus versus Vis viva "
Première partie : " Hastatus Prior "
La bannière carmin est ornée d’une couronne d’or qui arbore en son centre les lettres " SPQR ".
En latin « Senatus PopulusQue Romanus » signifiant « Le Sénat et le Peuple Romain ».
Cette devise est l'emblème de la République romaine, elle restera celle de l'Empire.
Faustus ne met aucun entrain à sortir de la tente aux toiles raidies par l’aube glacée. L’air s’y infiltre sournoisement.
Les peaux recouvrant son lit de camp sommaire permettent quelques heures de sommeil, pas plus.
Aux premières heures du jour une fine brise thermique force ses yeux rougis à s’entre-ouvrir.
Lentement il répète les gestes rituels du réveil du soldat.
Quinze ans déjà de toilettes sommaires mais indispensables pour rester un être humain.
Pas de cheveux désordonnés ni de barbe, les ongles blancs, la tunique pliée enfilée sur des linges de corps propres.
Elle est accompagnée d’une bande d’étoffe mettant en valeur le ceinturon ("Cingulla"), auquel est fixé le fourreau du glaive (« Gladius »).
Pour se démarquer des fantassins, comme tous ceux de son grade, Faustus se couvre d’une écharpe de couleur.
Celle des centurions.
Puis viennent les couches successives de l’habit militaire.
La « Lorica segmentata », l’armure constituée de bandelettes de métal maintenues entre elles par des courroies de cuir.
Reconnaissable de tous les guerriers, amis comme ennemis, protection enviée de tous, le dernier rempart de l’être qui va affronter son destin.
Certains portent encore la cuirasse des soldats à la fin de la République, la « lorica hamata », une cotte de mailles constituée de 20 000 à 30 000 anneaux de fer enlacés.
Il commande une centaine "d'Hastati" entraînés deux fois par jours, quelques soient les humeurs du ciel. Ce sont les plus jeunes recrues de la Légion, athlétiques et de ce fait toujours placées en première ligne, combattant à l'aide de la « Hasta » (lance) en défense et du « gladius » (glaive) en mêlée. Leur casque à plumes étant paradoxalement dérivé de modèles celtiques.
Dans les yeux de cet officier ont défilés les visages de ces hommes à peine sortis de l’adolescence, engagés dans la légion pour des motifs qu’il ne comprend plus.
Qu'ils soient attirés par une solde qui assure un quotidien confortable, à condition de vivre assez longtemps pour l’apprécier, ou ivres d’aventures dans lesquelles l’héroïsme du guerrier invincible est glorifié, arguments favoris des recruteurs qui eux n’y croient pas, parfois laissés pour comptes de familles pauvres qui n’ont que leur vie comme toute richesse, ou quelques fils épris d’une jeune femme si belle que sa main a été donnée à un autre que lui, un "beau parti".
Faustus regarde ses légionnaires.
Combien seront-ils encore avec lui demain ?
Il espère le jour où l’ordre viendra.
Lorsque Rome estimera qu’il a désormais enduré assez de combats sans merci, assez de coups, de blessures et de traumatismes psychiques que l’on tait par fierté.
Par crainte que ceux qu’il commande avec tant de rigueur discernent un doute dans les certitudes du héros de la prestigieuse IX ème Légion.
Ses Hastati le voient tous comme un modèle, le père auquel ils obéissent sans discuter, qui risque sa vie avec eux, si ce n’est pour eux quand il le faut.
Celui qu’ils voudraient devenir lorsque, le jour venu, ayant gravi durement les échelons du commandement, eux aussi recevront cet ordre.
« Légionnaire, Rome t’accorde le privilège de regagner les tiens.
Tu as servi dignement, avec honneur et courage.
Jamais tu n’as failli, jamais tu n’as battu en retraite ni déshonoré tes hommes.
La « Roma Invicta » (Rome invaincue) t’accorde des terres sur les pourtours de la résidence impériale d’Arelate (Arles)».
Il attend cet ordre, cette terre arable, une vie de fermier, un épi de blé au coin de la bouche, contemplant sa première récolte avec une femme douce qu'il ne connaît pas encore.
Ces vallons où l'on s'égare avec plaisir, baignés de soleil et de garrigues aux senteurs enivrantes.
Là où règnent les cigales qui chantent à tue-tête la paix revenue.
La fin des guerres, le calme.
Ce lieu où l'on se repose.
Pour toujours.
Il reste encore à enfiler les couvre-jambes pour supporter le froid, la « Femoralia » (1) couvrant le haut de la jambe et la « Tibialia » le bas.
Puis la ceinture (« Cingulum ») comportant une protection du bassin (« Baltea ») composée de médaillons de métal sur des bandes de cuir et le baudrier ceignant le torse (« Balteus ») afin de soutenir ensemble le glaive et son fourreau.
Et enfin les « Caligae ».
Ces sandales faites de lanières de cuir croisées, cousues assemblées et lacées, reposant sur une épaisse semelle de cuir, cloutée sur la surface de marche.
Un condensé de techniques qui ont évoluées avec le temps pour garantir un certain confort et une résistance remarquable à ces soldats qui peuvent marcher plus de vingt kilomètres en une journée par cycles d'une heure. Cinquante minutes d'effort et dix minutes de récupération.
La cadence normale du légionnaire étant de cinq kilomètres en cinquante minutes.
Des performances dignes d’athlètes entraînés, soudés dans l'esprit de corps incarné par leur centurion et ses seconds.
Tous les guerriers les redoutent.
A Rome la guerre est pensée comme une science exacte, théorisée par des stratèges, mise en œuvre par des ingénieurs puis des artisans formés à ces techniques de pointe.
Chaque légion comporte un atelier technique d’entretien, de réparation et même de fonte d’équipements neufs…
Ils n’ont pas de point faible.
Comment peuvent-ils perdre ce combat ?
Les plus jeunes des Hastati semblent inquiets des cris provoquants et rauques des celtes, de l’autre côté de cette longue clairière glacée.
Leurs camarades plus âgés leur donnent des tapes sur le « Galéa » (casque) en riant fort ostensiblement, pour les rassurer.
« Ecoute moi ces barbares ! Encore un qui s’est coincé le... dans son bouclier de pacotille ! »
Les rires graveleux fusent, la finesse et le bon goût ne sont pas de mise au moment où l’assaut se prépare.
Les hommes se regroupent, se parlent sans réel sujet. Le moment que chacun redoute approche.
Ils se détachent de cette réalité objective et inquiétante.
L’individu est le fragment d’un groupe qui, une fois en marche cadencée, représente un mur infranchissable.
Les barbares sont mus par un idéal individuel.
Ils doivent se surpasser pour égaler les héros mythiques. Un condensé de force dictée par leurs dieux, une brutalité exacerbée au service d’une cause qui justifie le sang versé.
Chacun est un ouragan qui n’a d’autre limite que l’anéantissement de l’ennemi.
Ce mode de combat primal constitue la technique dite de « la mêlée », propre aux celtes, des hordes hurlantes provenant de partout et de nulle part, impossible à prédire, le cauchemar des théoriciens du combat où tout est réglé selon des percepts quasi arithmétiques.
Les stratèges romains le savent, dès lors les légionnaires n’auront de cesse d’organiser leurs rangs à l’inverse de cet idéal néolithique du guerrier combattant pour son honneur, sans prévoir ce que fera le frère d’armes à ses côtés.
Leurs formations sont collectives, leurs mouvements sont coordonnés, de sorte que chaque ennemi aura toujours à faire face à une cohorte hérissée de pointes mortelles.
La stratégie théorisée et son corollaire indissociable, la discipline, ont permis aux légions d’anéantir des troupes parfois quatre à cinq fois supérieures en nombre.
Rome ne doit pas craindre ses ennemis.
Elle n’a aucun point faible.
« Roma Invicta » !
(1) Les Femoralia (ou « Feminalia ») sont parfois décrites comme des pantalons courts, des « Bracae » (« braies ») et les Tibialia comme des leggings.
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Une fausse image de l’histoire : La standardisation de l’équipement du légionnaire
L’armée romaine est généralement représentée dans le cinéma, la BD (nos célébrissimes Astérix et Obélix) et les conceptions 3D (jeux vidéo, films d’animation) avec des équipements standardisés.
De l’uniforme à l’armement individuel, l’impression d’un bloc militaire humain impressionne plus facilement le spectateur/lecteur/joueur.
Les écoles militaires (l’ESM Saint-Cyr notamment, mais aussi Sandhurst UK et West Point USA - jumelée à Saint-Cyr) enseignent la « cohésion » comme une nécessité vitale.
Cette évidence se traduit aujourd’hui par la standardisation des équipements et des uniformes, qui a de nets avantages en termes de coûts de fabrication et d’entretien en série.
L’armée romaine a développé comme aucune autre avant elle une sorte d’uniformisation de ses équipements pour ces mêmes raisons.
Sans oublier qu’elle en a fait une nécessité pour se défendre des invasions celtes (notamment), qui ont ravagé Rome, alors un royaume puis une république, qui comptaient uniquement sur l’armement à la hâte de ses enfants pour survivre.
Et cela bien avant que les légions romaines envahissent l’Europe, puis se tournent vers l’Orient.
Les excès des uns n’excusant pas ceux des autres, certes.
Mais lorsque la paix est revenue au prix du sang des citoyens, les structures militaires aussi brillamment réorganisées sont devenues de redoutables instruments de conquête, rapidement indispensables pour réaliser les rêves de puissance de certains dirigeants.
Royaumes, républiques ou empires, tous se sont accommodés de cette orientation vers une armée de conquête, qui ne faisait plus que défendre son sol.
La structure offensive de l’armée romaine de la République à l’Empire en est l’illustration.
Ceci étant (ne nous égarons pas vers la question du droit dans/de la guerre), l’armée romaine ne se résume pas à la seule légion (Legio) du fait des unités auxiliaires tout aussi importantes
La notion même d'uniforme n’était pas évidente chez les romains.
La représentation massive de romains revêtus uniformément de la « Lorica Segmentata » est une erreur.
Les légionnaires achetaient leur armure.
Les plus fortunés pouvaient se payer la fameuse « Lorica Segmentata », les plus pauvres devaient se contenter d'une « Lorica Harmata » (cotte de mailles) voire d'une « Lorica squamata » (cuirasses d'écailles) de conception encore plus ancienne.
Comme les voitures aujourd'hui, il était possible d’acheter des cuirasses « d'occasion » : la cuirasse d'un légionnaire mort au combat ou devenu inapte au service ou celle d'un légionnaire vendant son précédent modèle pour s’offrir une cuirasse plus élaborée
L’armée romaine a aussi beaucoup utilisé les armes de ses ennemis.
Tels ces équipements « typiquement » romains que sont le « Scutum » (bouclier) d'origine Samnite et le « Gladius » (glaive) des celtibères d’Espagne.